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Baba Yaga

Dans une maisonnette de village vivait une petite fille qui n’avait plus de maman. Son père, qui était déjà assez vieux, se remaria ; mais il ne sut pas bien choisir. La nouvelle femme n’était pas une vraie maman, c’était une marâtre. Elle détestait la petite fille et lui parlait durement. Elle lui faisait balayer la poussière du chemin pendant l’été et la neige pendant l’hiver. Mais elle avait beau être méchante, la petite-fille restait bien propre, ses yeux bleus brillants et ses cheveux blonds bien coiffés.

  • Comment vais-je faire pour m’en débarrasser ? songeait la marâtre.

Un jour que son mari était allé au marché porter du blé, elle dit à la petite fille : « Va chez ma sœur, ta bonne tante et demande-lui une aiguille et du fil pour te coudre une chemise. »

La petite fille mit son joli fichu rouge et partit. En route, comme elle était fine, elle se dit : « J’ai une bonne tante, c’est vrai, mais qui n’est point la sœur de ma marâtre : c’est la sœur de ma vraie maman. J’irai d’abord lui demander conseil. »
Sa tante la reçut avec un grand plaisir.

  • Tante, dit la petite fille, la femme de mon cher papa m’envoie chez sa sœur lui demander une aiguille et du fil pour me coudre une chemise. Mais, d’abord, je suis venue te demander, à toi, un bon conseil.
  • Que tu as bien fait ! dit la tante, et que tu es fine ! La sœur de ta marâtre n’est autre que Baba Yaga, la cruelle ogresse ! Mais écoute-moi : il y a chez Baba Yaga un bouleau qui voudra te fouetter les yeux, noue-le d’un ruban. Tu verras une grosse barrière qui grince et qui voudra se refermer toute seule, verse-lui de l’huile sur les gonds. Les chiens voudront te dévorer, jette-leur du pain. Enfin, tu verras un chat qui te crèverait les yeux, donne-lui un bout de jambon. Avec du courage et de la gentillesse tu seras plus forte que les méchants.
  • Merci bien, ma tante, dit la petite fille.

Elle marcha, elle marcha, elle marcha… Enfin, elle arriva à la maison de Baba Yaga.
Baba Yaga était en train de broder.

  • Bonjour, ma tante.
  • Bonjour ma nièce.
  • Ma mère m’envoie vers toi te demander une aiguille et du fil pour me coudre une chemise.
  • Bon. Je m’en vais te chercher une aiguille bien droite et du fil bien blanc. En attendant, assieds-toi à ma place et brode. La petite fille se mit au métier.

Baba Yaga avait brodé une très jolie fleur en soie rouge et jaune. La soie en était si luisante, les couleurs si vives que cela paraissait bien étonnant dans la maison d’une ogresse. La petite fille demanda à la fleur :

  • Que fais-tu, toi qui es si jolie dans la maison de Baba Yaga ?
  • Je suis prisonnière, dit la fleur. Veux-tu me rendre la liberté ?
  • Oh : je veux bien, dit la petite fille.
  • Alors, défais soigneusement, un à un, tous les points.

La petite fille se mit à défaire les points. Elle soulevait la soie avec son aiguille, sans gâter l’étoffe.

  • Doucement… doucement… disait la fleur. Merci bien.

Enfin, il ne resta plus sur le métier qu’une trace de fleur, marquée en tout petits trous d’aiguille. La petite fille était bien contente.

Soudain elle entendit Baba Yaga qui dit à sa servante, dans la cour :

  • Chauffe le bain et lave ma nièce soigneusement. Je veux la manger pour mon dîner.
    La petite fille trembla de peur. Elle vit la servante qui entra et apporta des bûches, des fagots et de seaux pleins d’eau. Alors elle fit un grand effort pour prendre une voix aimable et gaie et elle dit à la servante :
  • Eh ! ma bonne, fends moins de bois et, pour apporter l’eau, sers-toi plutôt d’une passoire !
    La servante éclata de rire et répondit :
  • Vous avez bien de l’à-propos, ma belle ! Et quel joli fichu rouge !
  • Il est pour toi, dit la petite fille.

La servante, toute joyeuse, courut serrer le fichu dans son armoire.
La petite fille regardait autour d’elle, de tous les côtés. Le feu commençait à flamber dans la cheminée. Il avait beau être un feu d’ogresse, sa flamme était belle et claire. Et l’eau commençait à chanter dans le chaudron ; et bien que c’était une eau d’ogresse, elle chantait une jolie chanson. Mais ni le feu ni l’eau ne pouvaient empêcher la petite fille d’être bien triste. Elle songeait : « à cette heure, dans la maison de ma bonne tante, j’aurais eu un verre de thé ou de lait sucré et une tartine de beurre.»

Cependant, Baba Yaga s’impatientait. De la cour, elle demanda :

  • Tu brodes, ma nièce ? Tu brodes ma fille ?
  • Je brode, ma tante, je brode.
    Sans faire le moindre bruit, la petite fille se leva, alla à la porte… Mais le chat était là, maigre, noir, effrayant ! Avec ses yeux verts il regarda les yeux bleus de la petite fille. Et déjà il sortit ses griffes pour les lui crever.
    Mais elle lui donna un morceau de jambon cru, délicieux, et lui demanda à voix basse :
  • Dis-moi, je t’en prie, comment je peux échapper à Baba Yaga ?

Le chat mangea d’abord tout le jambon, puis il lissa ses moustaches, puis il répondit :

  • Prends ce peigne et cette serviette, et sauve-toi. Baba Yaga va courir après toi. Si tu l’entends approcher, jette la serviette, et tu verras ! Si elle te poursuit toujours, colle encore l’oreille contre la terre, et quand tu l’entendras sur la route, jette le peigne et tu verras !

La petite fille remercia le chat, prit la serviette et le peigne et s’enfuit. Mais, à peine hors de la maison, elle vit deux chiens encore plus maigres que le chat, tout prêts à la dévorer. Elle leur jeta du pain tendre et ils ne lui firent aucun mal.

Puis, Ce fut la grosse barrière qui grinça et qui voulut se refermer pour l’empêcher de sortir de l’enclos ; mais la petite maligne lui versa toute une burette d’huile sur les gonds, et la barrière s’ouvrit largement pour la laisser passer.
Le bouleau siffla et s’agita pour lui fouetter les yeux, mais elle le noua d’un ruban rouge ; et voilà que le bouleau la salua avec une belle révérence et lui montra le chemin. Elle courut, elle courut, elle courut…

Cependant, le chat s’était mis à broder. De la cour, Baba Yaga demanda, encore une fois :

  • Tu brodes, ma nièce ? Tu brodes ma fille ?
  • Je brode, ma vieille tante, je brode, répondit le chat d’une voix très impolie.
    Furieuse, Baba Yaga se précipita dans la maison. Plus de petite fille !
    Elle courut au métier à broder : Plus de jolie fleur ! A la place, le chat avait brodé une queue de souris ! Elle rossa le chat et cria :
  • Pourquoi ne lui as-tu pas crevé les yeux, traître ?
  • Eh ! dit le chat, voilà longtemps que je suis à ton service, et tu ne m’as jamais donné le plus petit os, tandis qu’elle m’a donné du jambon. Baba Yaga rossa les chiens.
  • Eh ! disent les chiens, voilà longtemps que nous sommes à ton service, et nous as-tu jeté seulement une vieille croûte ? Tandis qu’elle nous a donné du pain tendre !

Baba Yaga secoua la barrière.

  • Eh ! dit la barrière, voilà longtemps que je suis à ton service et tu ne m’as jamais mis une seule goutte d’huile sur les gonds, tandis qu’elle m’en a versé toute une burette !

Baba Yaga s’en prit au bouleau.

  • Eh ! dit le bouleau, voilà longtemps que je suis à ton service, et tu ne m’as jamais paré d’un fil, tandis qu’elle m’a paré d’un beau ruban de soie !
  • Et moi, dit la servante, à qui pourtant on ne demandait rien, et moi, depuis que je suis à ton service, je n’ai jamais reçu de toi-même une loque, tandis qu’elle m’a fait cadeau d’un joli fichu rouge !

La servante grimpa dans le cerisier pour échapper à la méchante femme.

  • Va, tu ne perds rien pour attendre ! lui cria Baba Yaga. Je vais rattraper la petite fille et la mangerai malgré vous tous. Et ne sois pas si fière de ton fichu rouge ! demain je le vendrai à la gitane, pour du tabac.
    Toute noire de colère, Baba Yaga sauta dans un mortier, et, jouant du pilon, effaçant ses traces avec son balai, elle s’élança à travers la campagne.

La petite fille colla son oreille contre la terre : elle entendit que Baba Yaga approchait.
Alors elle jeta la serviette, et voilà que la serviette se changea en une large rivière !
Baba Yaga était bien obligée de s’arrêter. Elle grinça des dents, roula des yeux jaunes, courut à sa maison, fit sortir trois bœufs et les amena ; et les bœufs burent toute l’eau jusqu’à la dernière goutte ; et Baba Yaga reprit sa course.

La petite fille était loin. Elle colla l’oreille contre la terre ; elle entendit le pilon sur la route ; elle jeta le peigne… Et voilà que le peigne se changea en une forêt touffue !
Baba Yaga essaya d’y entrer. Impossible ! Elle voulut abattre les gros sapins à coups de dents, mais elle se brisa toutes les dents, si bien qu’elle ne peut plus, à cette heure, manger de petits enfants, ni même de poulet.

La petite fille écouta : plus rien. Elle n’entendit que le vent qui passait dans les sapins verts et noirs de la forêt. Pourtant elle continua de courir très fort parce qu’il commençait à faire nuit, et elle pensait : « mon papa doit me croire perdue ».

Le vieux paysan était revenu du marché. Il avait demandé à sa femme :

  • Où est la petite fille ?
  • Qui le sait ? répondit la marâtre. Voilà trois heures que je l’ai envoyée faire une commission chez sa tante. Elle est peut-être allée dans le bois cueillir des mûres, ou bien elle joue à la marelle sur la place.
  • Quelle drôle d’idée ! Il n’y a pas encore de mûres au bois et il fait bien trop nuit, à cette heure, pour jouer à la marelle.

Enfin la petite fille, tout en courant, les joues plus roses que jamais, arriva chez son père. Il lui demanda :

  • D’où viens-tu, ma gentille ?
  • Ah ! dit-elle, petit père, ma mère m’a envoyée chez ma tante chercher une aiguille et du fil pour me coudre une chemise ; mais ma tante, figure-toi, c’est Baba Yaga, la cruelle ogresse !

Et elle raconta toute son histoire. La marâtre, qui se tenait cachée, l’entendit, et vit combien l’homme était en colère. Elle eut si peur qu’elle se sauva, très loin, très loin, et on ne la revit jamais.

Depuis ce temps, la petite fille et son père vivent en paix. Je suis passé dans leur village ; ils m’ont invité à leur table. La nappe était bien blanche, les gâteaux bien frais et leur cœur content.