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[Interview] Jacques Treiner – Physique

Physicien théoricien notamment dans le domaine des fluides quantiques, Université Paris Cité

Quel est votre métier ?

J’ai été enseignant chercheur, physicien théoricien. Mon domaine de recherche a été « les fluides quantiques » : il s’agit de systèmes (liquide ou gaz) dont les propriétés ne peuvent s’expliquer à l’aide de la mécanique classique, ils relèvent de la mécanique quantique. Un exemple : tous les liquides deviennent solides lorsqu’on abaisse la température. Mais l’hélium liquide demeure liquide au zéro absolu (-273,25 °C) : il s’agit d’un effet quantique.

En 2005, à l’occasion de l’organisation d’un colloque sur l’énergie, je me suis rendu compte que l’utilisation des combustibles fossiles par l’humanité avait un effet sur le climat de la planète. C’est un sujet dont j’ignorais tout jusque là, et cela m’a paru si important que j’ai décidé de consacrer une part de plus en plus importante de mon activité à cette question : à la fois pour comprendre le problème, et pour orienter mon activité d’enseignement vers ce sujet. C’est ainsi que j’ai été amené à enseigner en dehors de cursus purement scientifiques, notamment à Sciences Po : le changement climatique concerne tout le monde, en connaitre les mécanismes essentiels est une nécessité quel que soit son secteur d’activité, les scientifiques se doivent donc d’adapter leurs connaissances à des publics non spécialistes. Entre temps, j’ai rejoint le Shift Project, un groupe qui cherche à faire des propositions concrètes pour « sortir » des combustibles fossiles. 

A quoi ressemble votre journée de travail ?

Aujourd’hui, je ne fais plus de recherche fondamentale. Mon temps se passe à préparer des conférences, rédiger des articles, participer à une réflexion collective dans le cadre du Shift Project, et lire ce qui se publie sur la « transition énergétique ». A ne pas oublier : la pratique du piano.

Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans ce métier ?

Comprendre les mécanismes à l’oeuvre (quel que soit le sujet, comprendre procure toujours un vrai plaisir intellectuel), et transmettre ce que j’ai compris (pour tenter de procurer un plaisir semblable chez l’auditeur). 

Depuis quand aimez-vous la science ?

J’ai eu une curiosité pour les sciences (en commençant par l’astronomie) en primaire. Au lycée, il apparaissait de plus en plus clairement qu’il y avait deux secteurs d’activité : les sciences, où l’on s’efforçait de produire des connaissances « universelles », les arts et les lettres, où les parcours paraissaient plus singuliers, plus aléatoires (les domaines comme le commerce, la gestion, l’économie étaient peu présents).  

Quel est votre plus beau souvenir scientifique ?

En voici deux, l’un concernant l’enseignement, l’autre la recherche.

1) à l’occasion de la préparation d’un enseignement de mécanique quantique, dans les années 1970, la lecture de la partie du cours de Robert Feynman sur « les systèmes à deux niveaux » m’a laissé un souvenir inoubliable. Cela illustrait merveilleusement la phrase de Jean Perrin : « la science consiste à remplacer du visible compliqué par de l’invisible simple ».

2) concernant la recherche, au début des années 1990, avec des chercheurs américains, nous avons réalisé une étude théorique qui a permis de prévoir un phénomène auquel personne n’avait pensé, et qui a été confirmé expérimentalement par une expérience très élégante. Pendant une fraction de seconde, j’ai eu le sentiment que la « nature » avait obéi à notre calcul !  

Quel conseil donneriez-vous à des élèves qui veulent devenir scientifiques ?

Quel que soit le domaine scientifique qui vous intéresse, allez-y ! Mais je dirais la même chose à quelqu’un qui est attiré par la musique ou la menuiserie. Pratiquer une activité pour laquelle on a une certaine attirance procure un grand sentiment de liberté – la quantité de travail qu’il faut y consacrer n’a aucune importance.  

Ensuite, les choses arrivent par hasard, mais comme disait Pasteur, c’est un « hasard préparé »… Travaillez donc à « préparer votre hasard » !